Mon bois préféré…

if montagne

L’if d’Europe, taxus baccata.

J’aimerai décrire un peu mieux ce magnifique arbre, adoré de tout facteur d’arc qui se respecte. Souvent confondu à tort avec le cyprès, car apparaissant également dans les cimetières, mais d’une silhouette et d’une texture complètement différente (le cyprès est élancé de forme ovale, l’if ébouriffé, est de forme plus anarchique).

Réputé pour son bois terriblement nerveux à fibres longues, ces dernières lui confèrent  des qualités peu communes de souplesse et de résistance, très difficiles à apprivoiser sous l’outil…

Victime de la qualité de son bois et de sa mauvaise réputation d’arbre aux propriétés toxiques, il est devenu rare et se cantonne principalement à la hêtraie sapinière en milieu montagnard, ainsi qu’aux parcs urbains. Je dirai même qu’il se plait à merveille au fond des vallons abrupts, gorges sauvages ou le torrent gronde…

Autrefois, considéré par les Anciens comme précieux et sacré, il fut planté et cultivé. D’ailleurs, les Anglais à l’époque en firent de grandes pépinières pour la fabrication des arcs de guerre. Restant toujours vert, il est associé chez les Celtes, au culte de la mort et à l’éternité ou vie dans l’au-delà. Raison pour laquelle il fut peut-être implanté dans les cimetières. Mais de la mort il est aussi le symbole, car il est connu qu’il peut la donner ! César raconte dans « sa guerre des Gaules » que ses adversaires empoisonnaient la pointe de leurs flèches avec une préparation extraite du suc de la plante. C’est avec la graine que la funeste potion était préparée…

Attention aux propriétaires de chevaux ! Car il semblerait que sa toxicité s’exercerait de manière bien plus aigüe que sur tout autre animal. En tout cas, les accidents mortels qui lui sont imputables ont longtemps défrayé la chronique; 500g de son feuillage suffit à tuer un équidé.

Mais, la connaissance moderne dans sa sagesse a compris que sa toxicité est avant tout une question de dosage. Nos plus grands poisons végétaux peuvent donner d’excellents remèdes. C’est ce qui arrive aujourd’hui avec l’if, puisque l’on en extrait le glucoside, base de médicaments capable de contrarier le développement des cellules malignes responsable des cancers…

Je peux affirmer que la baie de l’if est délicieuse, je m’en délecte chaque fois que l’occasion s’y prête, sa chair molle, visqueuse et rosâtre qui enveloppe la graine a un goût assez unique en son genre, toutefois je prends la précaution de cracher la graine toxique, au grand étonnement des oiseaux, qui eux n’en font d’histoire, puisqu’ils l’ingurgitent et par leur « ignorance » participe à la dissémination de l’espèce  en dispersant leurs fientes! Merci la nature !

If de ippus en latin et ivin celtique, Eibe en allemand et yew en anglais, ce fossile déborde de vie. Il se reproduit à vingt ans et peut vivre plus de mille ans ! Cette vitalité se manifeste par les tailles excessives que l’arbre supporte et par le fait qu’il est le seul de nos conifères qui repousse de souche. Cet arbre vénérable fait chambre séparée : on a Monsieur If et Madame if.

L’if ne monte guère au-delà de 1500 mètre d’altitude, il affectionne l’air humide océanique, il ne dépasse pas les 20 mètres de hauteur, il a des airs tourmentés, tordus remplis de nœuds et une écorce souvent bosselée qui pèlent en longues lanières lorsque le troisième âge vient…

Son bois de couleur rouge vineux rend les arcs fabriqués de sa « chair » tout simplement magnifiques ! Au début du travail, la couleur reste d’un rose discret et délicat, puis avec le temps la teinte évolue vers quelque chose de plus sombre et mature. Le dessin de ses veines est toujours irréguliers, entremêlé de nœuds et de taches grises. Il est de nature rebelle et imprévisible, on croit le dominer et sans qu’on se doute, il crée la surprise, se tord, se voile, fait apparaître un défaut là ou l’on s’attend le moins ! Alors on le maudit et on recommence, n’est-ce pas là, la passion ?

Sur un plateau d’if sélectionné, une petite partie pourra entrer dans la facture d’arc, le solde finira à la cheminée ! Quel gâchis, vous me direz, mais c’est le pain quotidien de tout bon facteur d’arc. C’est pour toutes ces raisons qu’un arc œuvré en if coûte cher, croyez-moi c’est encore peu payé ! Depuis la forêt hivernale enneigée jusqu’au produit fini, il s’en passe de longues années et de longues heures à l’établi !

Cet arbre restera toujours mon meilleur compagnon d’archerie, chaque fois que je croise son chemin soit en ville ou dans les bois, je m’émerveille et m’arrête pour le saluer et délicatement le touche de ma main.

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